Sylvie Fanchon, Je m’appelle Cortana
Un dialogue avec les collections des deux Frac de Bourgogne-Franche-Comté
Longtemps Sylvie Fanchon a réalisé des peintures en suivant un protocole strict : économie de moyens, bichromie, planéité, extrême schématisation, touche en aplat visant à la neutralité expressive. Elle représentait des motifs extraits du monde concret, tels des schémas, des plans, des figures empruntées aux BD ou aux dessins animés, des signes issus de l’environnement urbain, et quelques fois des lettres… qu’elle transformait en figures quasi-abstraites dotées ainsi d’une étrange familiarité. En 2014, avec sa série Tableaux scotch, elle expérimente une nouvelle technique en appliquant sur sa toile une première couleur sur laquelle elle appose des bandes adhésives avant de recouvrir l’ensemble d’une seconde couleur. Une fois les scotchs arrachés, les motifs apparaissent en réserve, instaurant une relation troublante entre la forme et le fond. La lettre qui apparaissait de façon sporadique se fait alors de plus en plus présente dans le travail de Sylvie Fanchon, d’abord avec la série SF puis avec les peintures récentes réalisées au scotch.Ces peintures présentées au Frac Franche-Comté dialoguent avec des oeuvres accordant une place importante aux mots, choisies en concertation avec l’artiste dans les collections des deux Frac de Bourgogne-Franche-Comté*.
Les mots choisis par Sylvie Fanchon sont empruntés, comme à son habitude, à notre environnement. Il s’agit de ceux prononcés par la voix synthétique de “Cortana” sur nos ordinateurs, que son développeur, Microsoft, présente comme une « nouvelle assistante personnelle numérique [...] conçue pour [n]ous aider à en faire plus » et qu’il vend en ces termes : « Opérationnelle tout de suite, […] elle sait se rendre plus utile chaque jour. Cortana s’occupe de tout, de manière proactive et en apprenant tous les jours un peu plus… Vous pouvez compter sur Cortana ».
Mais Cortana, comme son alter ego Siri, est aussi une intruse qui envahit notre espace privé et s’occupe de nous, même lorsqu’on ne souhaite que le silence et la précieuse possibilité d’en faire… moins. Cortana n’est pas une amie, elle n’autorise pas le dialogue ni l’échange d’idées. Elle débite des informations qui peuvent certes nous paraître utiles mais elle n’en saisit pas les aspects sémantiques profonds car comme l’indique Gérard Sabah, chercheur émérite du CNRS, « pour aller jusqu’au robot de science-fiction, il faudrait développer des méthodes permettant une véritable représentation du sens, et pas un mécanisme fondé sur les statistiques. Avant, on imaginait une IA désincarnée, séparée des aspects biologiques, culturels, sociologiques du monde… Or, il faut prendre en considération tous les aspects de la vie sociale pour avoir une vraie compréhension du sens. Les limites ne seront pas dépassées tant que la machine ne saura pas se référer à une expérience concrète dans le monde réel. »
Retranscrites par Sylvie Fanchon, avec des lettres de signalétique basique, neutre, achetée en grande surface, et « caviardées » pour les rendre difficilement lisibles, les phrases de Cortana sont réduites à de simples formes, à de simples codes à l’égal des plans ou des schémas dont elle s’était emparée au préalable, tout en faisant écho de façon humoristique au langage de l’art conceptuel. Par un paradoxal renversement, les mots de Cortana trouvent ici le supplément d’âme qui leur faisait défaut en entrant dans le registre artistique, celui du sensible et de la pensée.