Le Frac s’invite au Musée
A la suite du cycle d’expositions présenté par le Musée des Maisons Comtoises sur le thème de l’animal, le Frac propose une exposition autour des relations homme-animal, au travers de trois œuvres présentées dans la ferme des Bouchoux.
Depuis la préhistoire l’Homme cherche à représenter les animaux. La façon dont l’être humain considère l’animal fluctue d’une époque à l’autre, d’une civilisation à l’autre. Aujourd’hui, à l’heure où la vie sur terre est mise en péril par le dérèglement climatique, où la biodiversité s’amenuise, les artistes participent d’une réflexion plus large sur la nature de l’homme, sur ce qui le singularise et le rapproche tout à la fois des autres espèces vivantes et plus globalement sur ses relations au monde animal. Parmi eux, Lutz et Guggisberg, Mircea Cantor ou Micol Assaël mettent en lumière des sensations, mais aussi des instincts et des situations sociales que l’être humain a en partage avec l’animal, qu’il soit prédateur ou proie, grégaire ou solitaire, domestique ou sauvage, contraint ou libre …
Population du duo d’artistes Lutz et Guggisberg est une nuée d’oiseaux composés de morceaux de palette de bois brûlé au chalumeau. Ces « bestioles » étranges et intrigantes à la fois, rassemblées dans l’espace, peuvent faire songer à la sculpture africaine tout autant qu’à une invasion de zombies post-apocalyptiques. Andres Lutz et Anders Guggisberg travaillent en duo depuis 1996 et procèdent notamment à des collectes de matériaux naturels ou manufacturés. Ici, ils ont donné forme à un regroupement d’oiseaux inquiétant qui observe et le visiteur.
Cette installation cohabite avec le film de Mircea Cantor, Deeparture, association de deux mots anglais « deep » qui signifie intense et « departure », départ. Ce film muet nous met en présence de la rencontre inattendue d’un loup et d’une biche dans une galerie d’exposition. On hésite entre ce qui se passe et ce qu’on imagine qu’il va se passer : le spectateur observe les relations de ces deux êtres en attente tout en ressentant lui-même ce suspense. « Quelque chose se passe dans l’image mais aussi en toi » * réplique Mircea Cantor à propos de son œuvre vidéo.
En entrant et en sortant de la ferme des Bouchoux, on entend les bruissements d’ailes d’un oiseau que l’on imagine pris au piège. Cette œuvre de Micol Assaël, intitulée Your Hidden Sound ( « votre son caché » en anglais) est l’enregistrement du bruit d’un oiseau qui s’est réfugié ou qui s’est trouvé pris au piège dans l’ atelier de l’artiste. Dans l’espace vide résonne seulement les battements d’ailes et les pas de l’artiste qui essaye inutilement d’attraper le volatile. Là encore, il se produit une situation de suspense, une atmosphère inquiétante digne d’un thriller psychologique. Cela suscite une réaction d’empathie chez le spectateur, comme cela se produit souvent dans les travaux de l’artiste. Jouant avec l’architecture des lieux, modifiant ou créant des espaces, Micol Assaël impose entre ses œuvres et les spectateurs une rencontre déconcertante.
La peur, la vénération, la haine et l’amour, le rejet et l’identification sont quelques-uns des sentiments complexes et ambivalents qui sous-tendent notre approche de l’animal, cet être qui, dans l’ordre du vivant, est le plus proche de nous. Nous nous appuyons sur cet autre pour nous définir en tant qu’être humain et c’est en ce sens qu’il est à la fois un repoussoir et un miroir. Il est à la fois notre contraire et notre alter ego. Il est celui dont nous avons besoin pour nous dénoter et affirmer notre identité. Il est aussi ce que nous ne sommes plus en tant qu’être naturel mais que nous investissons parfois de qualités que nous avons ou aurions perdues. Il est enfin celui dont la disparition annonce la nôtre. En le regardant, c’est nous que nous regardons, en le considérant, nous nous considérons.
*Propos recueillis par Emmanuel Lequeux dans Beaux-Arts Magazine N°275. MAI 2007.