Nino Laisné, L’air des infortunés
L’exposition monographique de Nino Laisné est le fruit d’un dialogue au long cours entre l’artiste et le Frac. Une rencontre autour de son travail, l’artiste ayant identifié le Frac comme interlocuteur, autour des problématiques du temps et de la musique, qui traversent autant son oeuvre que la collection du Frac elle-même depuis 2006. De cette rencontre est d’abord née une invitation en résidence, afin de prendre le temps de se construire une histoire commune. Dès lors, les choses étaient en place, le contexte parfait où convergeaient la spécificité d’une collection et la tradition horlogère d’une région. L’exposition L’air des infortunés est quant à elle l’aboutissement de cette résidence qui s’est prolongée pour donner corps à deux oeuvres : un mécanisme horloger et un film, conçus par Nino Laisné et qui viendront enrichir la collection du Frac.
Le travail de Nino Laisné se situe au croisement entre photographie, mise en scène vidéo et pratique musicale. Proposant des oeuvres empreintes d’une certaine étrangeté, l’artiste se détache d’une narration linéaire et cherche des points de correspondance entre musique traditionnelle et langage cinématographique. L’histoire de la musique s’intègre dans ses oeuvres, notamment dans les rapports ambigus qu’elle entretient avec la fiction.
Cette intrusion progressive d’éléments musicaux est aussi le reflet d’un goût prononcé pour la pluridisciplinarité, pour le métissage entre les arts et pour les formes hybrides qui peuvent en résulter. Pour l’exposition au Frac, cet entrelacement se traduit par le biais de la production de deux oeuvres intimement liées.
La première pièce, produite en collaboration avec la Plateforme Technologique Microtechniques-Prototypage de Morteau, consiste en une réplique du mécanisme de La joueuse de tympanon, automate conçu par l’horloger Peter Kinzing et l’ébéniste David Roentgen, et conservé au Musée des Arts et Métiers de Paris. Cet automate, offert à Marie-Antoinette en 1785, représente la reine musicienne, assise devant un tympanon logé dans la structure d’un clavecin, frappant les cordes à l’aide de petits martelets de métal. L’étonnante singularité de cet automate réside dans le fait que la musique provient réellement du geste sur l’instrument miniature, et non du mécanisme lui-même. Sous sa robe se cachent de nombreux rouages qui engendrent les mouvements de bras. Ce mécanisme propose une variation de huit mélodies, dont l’une est attribuée à Gluck, l’un des compositeurs favoris de Marie-Antoinette et initiateur du classicisme viennois. L’oeuvre de Nino Laisné, si elle semble être une réplique parfaite du mécanisme, en est en réalité une contrefaçon, aux mélodies altérées.
La seconde pièce est une vidéo, produite et acquise par le Frac, qui s’appuie sur la version falsifiée du mécanisme, proposant une réflexion sur les notions de mémoire et d’imposture. L’artiste s’est en effet intéressé aux « faux Louis XVII », nombreux imposteurs qui prétendirent être le dauphin, et notamment un certain Karl Wilhelm Naundorff, horloger de métier et personnage insaisissable, qui eut de nombreux démêlés avec la justice.
Dans ce contexte flou, cette confusion entre réalité et fiction est le prétexte à une ouverture vers une narration fantasmée, où s’entrechoquent preuves réelles et contrefaçons. Des oeuvres qui marquent également l’intérêt profond de Nino Laisné pour les musiques anciennes et traditionnelles et sa fascination pour les prouesses horlogères.
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Remerciements
Centre dramatique national Besançon Franche-Comté ; Cour d’appel de Besançon, Ministère de la justice ; Direction régionale des affaires culturelles de Bourgogne-Franche-Comté ; Les 2 Scènes, Scène nationale de Besançon ; Les Archives nationales ; Musée des arts et métiers ; Plateforme Technologique Microtechniques et Prototypage ; et à tous les participants qui ont rendu possible ce projet