Jérôme Conscience - Elle dit, elle dit, elle dit...
Exposition organisée par le Frac Franche-Comté et l’Ecole regionale des beaux-arts
Le plaisir d’offrir de Jérôme Conscience
Jérôme Conscience n’expose pas à l’ERBA, il y revient.
Ou plutôt il s’y expose, vraiment, sans narcissisme mais dans la confiance en un lieu qui l’a vu naître en tant qu’artiste et qui se fait une joie de l’accueillir cet automne.
Il s’agit, en effet, de livrer ici à notre regard, ce que, d’ordinaire, on ne montre pas au public : le processus à l’origine et à l’œuvre au cœur du travail présenté. Les Anglo-Saxons sont friands de ces «making of» ou de ces «works in progress» qui permettent à l’artiste d’expliciter en acte sa démarche et de devenir en somme son propre médiateur.
Mais il y a plus encore dans cette aventure esthétique, conçue dans la complicité qui unit le Frac Franche Comté et l’Ecole des Beaux Arts, que cette volonté de rendre compte du cheminement qui a précédé les créations exposées, car il s’agit également d’effectuer un retour critique sur l’œuvre elle-même.
Sur ces grandes photographies de nus, Sans titre, 1999 notamment si souvent controversées où le modèle, des années après les prises de vue, s’entretient avec l’artiste et revient sur cette aventure de dévoilement.
Or à la lecture de cette vidéo l’on découvrira sans mal que le plus nu des deux interlocuteurs n’est peut être pas cette jeune femme mais le créateur qui n’hésite pas à tout dire.
A tout nous dire, car, en sus d’un savoir faire Jérôme Conscience possède, et c’est sans doute bien plus rare, un authentique savoir être.
Ce retour à l’école, en son école, permet à Jérôme dans cet environnement qu’il sait aussi curieux que bienveillant, de ne rien dissimuler en artifices ou en procédés mais d’apparaître au contraire, tel que ses amis le connaissent comme un être inquiet doué d’une extraordinaire générosité.
Car il faut aimer les autres pour se livrer ainsi pour avoir envie, les mots les plus simples font parfois les meilleurs concepts, de partager authentiquement son travail et de ne pas seulement en livrer des résultats à la manière d’un mathématicien qui dissimulerait tous ses efforts préalables et tout son raisonnement derrière quelque formules finales aussi définitives qu’impressionnantes car il nous jugerait seulement capable de nous prosterner devant des conclusions sans mériter jamais d’en suivre la démonstration.
Ainsi, rien ne se revendique comme définitif chez cet artiste pas même la mort semble t il puisque sa dernière œuvre produite par le Fonds Régional d’Art Contemporain, une table en granit noir intitulée «Et si on s’arrêtait de mourir», 2010 questionne ironiquement notre finitude alors même que nous sommes penchés quasi recueillis devant une pierre dont le caractère funéraire est difficile à nier.
Jérôme Conscience prend des risques en se livrant ainsi, en tentant de nous soumettre en un même mouvement l’homme et l’œuvre, le créateur et le processus de sa création, son souci du rendu le plus impeccable et l’autodérision mordante, mais ce risque chez lui est inséparable d’un vieux fond d’humanisme qui veut ne pas désespérer en notre capacité à recevoir alors que partout l’on est cerné de produits clefs en main d’où toutes aspérités semblent avoir été soustraites à notre supposée fragilité.
Ce don de soi sans lequel l’art sans doute perdrait de sa force de conviction est chez cet artiste inséparable de son plaisir d’offrir, et nul doute que les visiteurs éprouveront cette découverte comme une authentique invitation.
Dans un monde de consommateurs il est heureux que l’on nous traite encore parfois en convives.
Laurent Devèze