Véronique Joumard
À bien y regarder (et le moins qu’on puisse dire), le travail de Véronique Joumard ne conduit pas au déclenchement d’une quelconque « décharge nerveuse »… ce au risque de décevoir, et pour faire référence à un phénomène au sujet duquel elle-même s’est pourtant plu à rapporter le parallèle établi par Karl Popper : « … le processus de la décharge nerveuse est, à bien des égards, analogue à celui d’une explosion : elle a lieu brusquement lorsque le potentiel électrique de la plaque terminale d’un neurone atteint un certain niveau qui est le niveau critique, faute duquel la décharge n’a pas lieu ». Fi donc, la concernant, de l’hypothèse hasardeuse d’une revendication du « tout ou rien » radical.
Un rien seule et entière, l’œuvre semblerait plutôt se constituer dans et par une augmentation de charge, via le constat de l’irrésolution (de la réversibilité) du monde dont elle témoigne. À la fois attentive et avide de simplicité, plus soucieuse des effets immédiats (même les plus rédhibitoirement dangereux dans ses premières pièces électriques sans protection) que d’interrogations sans fin, constamment en deçà d’une dimension critique (trop souvent devenue il est vrai prétexte à l’énoncé complaisant de nouveaux commentaires plutôt qu’outil d’élucidation et de prise de conscience). Nulle hâte non plus donc à la situer, en dépit de ses affinités minimales ou conceptuelles affichées, dans l’ombre portée de l’avant-garde du tournant des années soixante/soixante-dix.
Si chaque pièce porte en elle sa raison d’espérer, l’ensemble relève bel et bien d’une non-indexation, mais – et c’est là toute la subtilité de l’entreprise – d’une non indexation sans conséquence. Non pas que l’attente y soit déçue (ou alors déçue en bien devrions-nous dire…), que sa perception du réel trahisse une vraie intuition des formes, mais du fait même qu’au bout du compte, personne, ni d’ailleurs aucune des « choses » en question, ne pourra prétendre véritablement aller mieux, sans pour autant aller plus mal. Et au jour d’aujourd’hui, à fréquenter l’art de nos contemporains, cela n’a réellement pas de prix.
D’où la difficulté à inscrire pareille « insouciance » (gage probable d’irréductibilité) dans le concert actuel des régurgiteurs de contenus et autres porteurs de sens, voire tout autant il est vrai au sein du cortège (sempiternel) des adorateurs de nains de jardins.
Héritière en cela de ceux qui, dans la décennie précédente (que les mêmes vilipendent d’ailleurs en bloc), marquèrent ses jeunes années : Leccia ou Information Fiction Publicité pour pointer des complicités bien concrètes, Lavier ou Mc Collum pour évoquer des références alors déjà plus établies.
Ce travail sait parfaitement qu’il doit à tout instant refuser de laisser dire qu’il « interroge l’électricité ou la communication », ne pas laisser penser qu’il « joue avec la problématique des réseaux et des connexions ». Il en va de sa véritable identité, car il a les moyens de se poser en vecteur de contemplation moderne, l’expression d’une forme d’inactivité, mais aussi la revendication de l’état artistique comme extrême centre : pas la distance objective de la photographie empruntée aux émules des Becher, mais la concentration d’une veille.
Et quand il use du potentiel paradoxal lié aux phénomènes d’enregistrement de la réalité par l’image, des contradictions de l’environnement de certains pays développés, de l’instabilité ou de l’intermittence de quelques situations d’objets comme matériaux, cela n’a jamais valeur de test. D’emblée la mise entre parenthèses existe. C’est elle qui légitime la surcharge esthétisante comme chez Kusama ou Lily van der Stokker pour prendre deux exemples distincts dans le temps et en apparence (mais en apparence seulement) fort peu assimilables aux artefacts puristes « dessinés » par V. J. au chœur de notre époque…
Xavier Douroux (avril 1997)