Une pose entre deux gestes
Zhu Hong et la collection du Frac Franche-Comté
Dans le prolongement de la résidence Amalgame qui s’est tenue à Villers sur Port de mai à septembre 2011, Zhu Hong est invitée à puiser dans la collection du Frac Franche Comté. Elle choisit de faire dialoguer une partie de sa production dessinée avec des œuvres de Stephan Balkenhol, Helen Frik, Bernard Moninot, Boris Lejeune, Sigurdur Árni Sigurdsson.
L’art du dessin de Zhu Hong est une adresse à l’attention. Qu’il vienne du crayon ou de l’encre de chine diluée, le gris très clair conduit nécessairement le regard à se poser pour chercher la figure, distinguer les nuances. Les teintes très proches créent un voile à travers lequel il faut déceler ce qui potentiellement se cache. La forme se découvre, et avec elle le temps, l’Histoire et les histoires. Habituellement, Zhu Hong s’approprie, pour les faire siens, des objets chargés d’une temporalité telles les œuvres des musées anciens. Dans la collection du Frac, le choix s’opère par analogies de sujets quand le Petit nu (1993) de Balkenhol rencontre ses propres nus (D’après Adam et Eve et D’après Working with Borges, 2009) ; par correspondances de technique quand Moninot dessine avec de la poudre de graphite, même si c’est le souffle plus que la main qui maîtrise le trait (Les tours de poussière N°I, 1987). Le choix est aussi celui très subjectif, guidé par son goût pour l’étrangeté, du lapin de Sigurdsson (Diplomatie, 1996) ou les personnages d’Helen Frik (Soft option et Sweden, 1998) qui deviennent des acteurs improbables d’une scène qui se joue sur un fond automnal aux faux airs de paysage traditionnel chinois (Boris Lejeune, Grand champ, roues de paille, 1984).
Pour s’inscrire dans ce lieu particulièrement présent que constitue la Chapelle avec ses colonnes et moulures, Zhu Hong fait le choix du diaphane alors qu’elle aurait pu imposer sa présence visuellement vis-à-vis de sculptures, qui, a contrario, marquent fortement l’espace. Ainsi il en va du Petit nu bien campé sur son socle imposant et qui agit dans l’espace laissé vacant entre deux grands dessins flanqués sur les murs. Zhu Hong instille un dialogue entre sa réalité d’une sculpture représentée en deux dimensions et la sculpture de Balkenhol qui, elle, conserve un « caractère physique concret ». L’œuvre en question, intitulée De l’ange au lion, représente les extrémités du gisant non moins imposant du tombeau de Philippe le Hardi, chef d’œuvre de la statuaire gothique visible au Musée des beaux arts de Dijon. Ce retrait par rapport au lieu d’exposition n’est pourtant pas une façon de rester dans l’ombre comme ce lapin caché sous une petite planche de bois (Sigurdsson). L’ombre occulte le regard de l’animal, à l’instar de la tache qui occulte certaines parties des dessins de Zhu Hong. Entre ombre et lumière, s’esquisse une analogie chez les deux artistes. Apparence et apparition pour Sigurdsson, apparition et disparition pour Zhu Hong. Cette incertitude se retrouve chez Moninot qui utilise l’ombre, portée cette fois-ci, pour faire apparaître des architectures d’acier, dont il ne détermine pas le statut : entre l’image, l’objet physique, son ombre et sa projection.
L’incongruité et l’imaginaire sont aussi convoqués par l’entremise d’Helen Frik dont le personnage adipeux, sorte de Bibendum miniature et glouton, dévore la surface devant lui où encore a maille à partir avec un tas de laine rose (!) Absurde sûrement, mélancolique et poétique, lit-on souvent de l’art de Frik. Petites figures drolatiques dont on ne sait pourquoi elles se démènent. Cette interrogation est prise telle quelle par Zhu Hong comme pour rappeler que son art est toujours figuratif, même si la figure disparaît souvent… dans la fragmentation. Les œuvres Hirosugi, Gruban ou Althus qui forment la série de dessins sur bois de chêne (Bloc, 2009), sont en cela emblématiques d’une attention portée au morceau. Ces détails d’affiches d’expositions nous livrent une information forcément parcellaire et recomposée qui ouvre un espace vers le récit. Cette ouverture est cependant toujours dominée par le trait calculé et maîtrisé à force de répétition, de redondance pour construire la représentation. C’est une hachure constante mais discrète qui s’oppose aux coups de gouges de Balkenhol et à la terre cuite de Lejeune dont la sculpture tellurique se situe à cent lieux d’un art léger du trait. Et pourtant, ce paysage, aux arbres de bronze fragiles bien ancrés dans la terre ferme qui se découpent délicatement dans l’espace, possède la grâce et la poésie : un terrain fertile pour l’ensemble des personnages qui peuplent l’exposition.
Bertrand Charles