Résidence « Excellence, Métiers d’art » avec Audrey Devaud
Pour la troisième année consécutive, le Frac et le Lycée Edgar Faure de Morteau collaborent et proposent des résidences d’artistes dans le cadre du label « Excellence Métiers d’Arts ». Ce label a été obtenu par le lycée pour ses enseignements en joaillerie et horlogie. Pour l'année 2023-2024, c'est le projet de l’artiste Audrey Devaud qui a été retenu. Pendant un an, elle a travaillé avec les étudiant.e.s de 1ʳᵉ et 2ᵉ année du DN MADE joaillerie sur deux objets issus de la tradition de la galette des rois : la couronne et la fève. En attendant la restitution qui aura lieu au Frac du 18 juin au 22 septembre, Audrey Devaud a répondu à quelques-une de nos questions…
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre travail ?
J'ai fait mes études à l'ESAL d'Epinal puis à la HEAR de Strasbourg et je suis revenue m'installer à Besançon en 2012, au sein des Ateliers Vauban. J'ai ensuite fondé, avec les artistes Gwilherm Courbet et Caroline Pageaud, l'atelier/galerie Les2portes, qui se situe également à Besançon. Aujourd'hui, je poursuis mes travaux dans un autre atelier collectif.
Je travaille autour de la sculpture et de l'installation, très souvent en céramique, mais j'explore régulièrement le bois, le plâtre, le verre, etc. Pour moi, les savoir-faire et la réappropriation du geste artisanal sont primordiaux. En parallèle, j'ai toujours conservé une pratique de dessin, pratique qui fait office de temps de repos, voire de méditation.
Mes volumes s'articulent majoritairement autour de la notion d'objets fétiches ou d'objets personnels. J'aime aussi parler d'objets de poche. Il s'agit surtout de définir ce terme au fur et à mesure de mes recherches. Il peut s'agir d'un gri-gri, d'un objet transitionnel à la manière d'un doudou d'enfant ou encore d'un outil favori. Je travaille avec des séries d'objets extraits de leur contexte pour les "fétichiser" à leur tour. Je joue avec les échelles, les accumulations, la préciosité ou non des matériaux. Il y a comme une forme d'obstination ou d'obsession qui transparaît dans mes pièces.
Qu'avez-vous décidé d'explorer durant cette résidence ? Comment s'est-elle déroulée ?
La résidence m'a permis de travailler sur deux objets : la couronne et la fève, issues de la tradition de la galette des rois. J'ai extrapolé ce folklore pour évoquer notre rapport aux astres, car toutes ces traditions découlent de célébrations païennes, qui elles-mêmes marquent un phénomène astronomique comme un alignement de planètes, un équinoxe, un solstice, etc.
J'ai donc travaillé avec les DNMADE 1ʳᵉ année pour la confection de mains en bronze qui sont, en réalité, des présentoirs pour les fèves. Chaque étudiant·e·s a réalisé une main en cire, qui a été fondue afin d'obtenir la sculpture en bronze. Ces fèves sont placées dans de petites boîtes et rappellent ainsi la fonction des bagues à compartiment secret.
J'ai réalisé un prototype en bois d'une fève et Céline Cuenot, enseignante en construction, l'a modélisé. La fève a ensuite été imprimée en résine castable (une résine qui peut fondre) grâce à une imprimante 3D. Cette technique a permis d'obtenir une série de fèves identiques que nous avons ensuite fondu en bronze. Les DNMADE 2ème année ont effectué toutes les reprises de fonte et assemblé les boîtes.
Ce projet a permis de travailler des techniques à la fois ancestrales avec la fonte à partir de cire — technique qui n'a pas changé depuis le Moyen Âge — mais aussi, d'explorer des méthodes très contemporaines avec la modélisation et l'impression 3D. Chacune de ces techniques a un usage bien précis.
Les fèves, elles, renferment une constellation en laiton et font ainsi référence à notre appropriation de la voûte céleste. Tous ces éléments sont assemblés sur un disque de laiton poli miroir pour figurer l'image d'un soleil. C'est ce premier disque que j'ai pu réaliser entièrement pendant la résidence, grâce à un encadrement et des connaissances très pointues de la part de Sandrine Dodane, professeure d'atelier, mais aussi de toute l'équipe enseignante. Cette résidence a été très enrichissante, tant du point de vue humain que technique.
Quelle forme prendra la restitution au Frac ?
La restitution prendra la forme d'une installation comprenant trois disques alignés de 80 cm de diamètre chacun : deux seront placés l'un en face de l'autre au mur et un sera suspendu au milieu à égal distance des deux autres.
Un premier disque de métal est paré d'une couronne ajourée. Ce premier soleil affiche sa propre ligne d'horizon. Précieuse à la manière d'un bijou sans en assumer toutes les fonctions, la couronne joue sur les codes de l'ornementation : le motif traditionnel du lys royal est ici reproduit d'après une planche ornementale d'Anton Seder, figure importante des Arts Décoratifs.
Un deuxième disque suspendu se compose d'une multitude de fèves qui ondulent au gré des mouvements des visiteurs. Nous gravitons autour de cette lune, renversant ainsi la physique. C'est aussi un clin d’œil aux traditionnels sujets de porcelaine propres aux galettes des rois. La fève sous sa forme légumineuse était à l'origine utilisée dans les gâteaux, car elle était la première graine comestible à pousser au printemps. Elle porte en elle son propre embryon et fait donc figure de renouveau à l'arrivée des beaux jours.
Les mains du troisième disque de laiton appellent le visiteur et semblent dire « je vous montre ». Les fèves de bronze qu'elles présentent sont comme des messagères et conservent, à la manière des bagues à compartiment secret, une constellation, visible ou non. Ces éléments mettent en balance la représentation de l'individu en opposition aux multitudes de fèves en porcelaine. Quant au miroir, il nous redonne une place en tant que visiteur au sein de l'installation.