Les Bibliothèques idéales de Sébastien Thiéry et Lawrence Abu Hamdan
En ce moment au Frac, vous pouvez visiter l'exposition monographique de Lawrence Abu Hamdan Aux frontières de l'audible et visionner le film de Sébastien Thiéry / PEROU, Considérant qu'il est plausible que de tels événements puissent à nouveau survenir. Les deux artistes se sont prêtés au jeu de la Bibliothèque idéale avec de riches propositions de lecture.
Sans surprise, ce sont des sélections éminemment politiques qui nous ont été proposées par les deux artistes. À travers des ouvrages de types très divers, mêlant théorie, fiction et poésie, Lawrence Abu Hamdan et Sébastien Thiéry nous confrontent à des thématiques qui résonnent douloureusement avec l’actualité et composent deux « Bibliothèques idéales » qui ne pourraient en former qu’une seule, traversées par plusieurs fils rouges : l’engagement politique, le devoir de mémoire ou encore la volonté des auteurs, qu’ils soient éducateurs, anthropologues ou dessinateurs, de changer le regard de leurs lecteurs sur le monde et la société.
L’essai philosophique (La 901e conclusion de Pierre Legendre) côtoie le manifeste politique (le sobrement intitulé Manifeste de Jean-Paul Curnier) ainsi que des écrits davantages narratifs inspirés de faits réels. Entre roman et document, on découvrira donc l’autobiographique Thésée, sa vie nouvelle de Camille de Toledo, le philosophique Impossible d’Erri de Luca, ou encore L’ordre du jour, récit historique d’Éric Vuillard relatant la genèse de la seconde Guerre mondiale. Mais surtout des récits composés à partir de témoignages de migrants, réfugiés, secouristes… tels La Loi de la mer de Davide Enia et l’incontournable roman graphique L’Odyssée d’Hakim de Fabien Toulmé. Ceux-ci font écho aux essais Sidérer, considérer : migrants en France de Marielle Macé, Brutalisme d’Achille Mbembe ou La Vie sensible d’Emanuele Coccia.
À travers ces propositions, la sélection de Sébastien Thiéry évoque ainsi le sort bien trop souvent réservé aux êtres humains dans notre société – qui, plutôt que d’être traités en individualités sensibles, sont considérés comme une masse manipulable telle une marchandise, gérés, négligés et maltraités. Mais cette sélection ne manque pas non plus de légèreté puisqu’on y découvre également les planches humoristiques du Petit traité d’écologie sauvage d’Alessandro Pignocchi.
Lawrence Abu Hamdan, lui aussi, a sélectionné des références historiques (L’Art de la mémoire de Frances A. Yates, Les naufragés et les rescapés de Primo Levi) et d’autres plus contemporaines (Murs de Wendy Brown, La Vérité en ruines : manifeste pour une architecture forensique d’Eyal Weizman). Sa sélection met l’accent sur les symboles des pouvoirs politiques répressifs contemporains (murs, frontières…), les rapports entre système et individu, entre autorité et soumission. Et particulièrement sur la nécessité d’archiver et de documenter le présent, d’en conserver la mémoire, notamment dans le but très pragmatique de rétablir la vérité et de défendre la parole des opprimés, comme il a lui-même contribué à le faire au sein du groupe Forensic Architecture qui, à partir de documents d’archives de diverses sources (smartphones de témoins, caméras de surveillance…) a permis la réouverture de procès emblématiques.
Vous retrouverez d’autres références encore au sein de cette bibliothèque idéale que nous vous invitons à venir découvrir !