Julien Berthier - Welcome Home
On pourrait prendre Julien Berthier pour quelque illuminé ou utopiste farfelu si ses inventions fantasques, fruits d’une observation aiguë de la réalité, n’avaient pour finalité d’en révéler la dimension absurde, tragique quelquefois. Son travail est en effet tout un programme qui se compose de solutions pratiques techniquement viables ou de démonstrations cohérentes. Mais l’ensemble, sous couvert d’améliorer les choses ou d’en pousser la logique de fonctionnement, n’en constitue pas moins une critique d’autant plus efficace que l’artiste emprunte à l’humour et à l’ironie.
L’exposition que lui consacre le Frac Franche-Comté privilégie des solutions imaginées par Julien Berthier pour «améliorer» ou «résoudre» des problèmes d’ordre social ou économique : Ainsi la maquette d’une horloge permettant à un individu de calculer «en temps réel les heures de travail accumulées avant la retraite». Quatre cadrans y indiquent respectivement : 1 minute divisée en 60 secondes ; 1 semaine divisée en 35 heures, 1 trimestre divisé en 13 semaines ; 40 années divisées en 160 trimestres. Inutile de préciser que cette horloge d’une vie de travail, objet pratique et de torture à la fois, ne conserve sa fonctionnalité que si la réglementation concernant l’organisation du temps de travail ne subit pas de modification. Si tel était le cas, l’horloge deviendrait alors, comme le précise ironiquement l’artiste, «le témoin d’un mécanisme social révolu».
Silent sentinels, conçue en 2005, est une fausse bonne idée visant à résoudre les problèmes des banlieues en transformant en porteurs de lampadaire nos jeunes «désoeuvrés». L’artiste proposait ainsi aux collectivités la solution inédite permettant de faire rentrer les jeunes dans un «Cercle Vertueux» tout en devenant un mobilier urbain relativement économique. Autant dire que cette pièce, conçue avant que n’éclatent les affrontements dans les quartiers, dénonçait déjà sur un mode grinçant la situation des banlieues et les tentatives cyniques de mécanisation de l’homme.
Restore Hope, 2001-2008, est une «oeuvre de bienfaisance» destinée à secourir les ordinateurs de la Silicon Valley. L’artiste raconte la genèse de cette proposition en ces termes : «janvier 2001 : des coupures d’électricité paralysent l’un des états les plus riches du monde : la Californie…. C’est le début du projet Restore Hope : fabriquer une rallonge permettant d’alimenter de chez moi l’un des ordinateurs de la Silicon Valley… (Sa) longueur totale, si l'on prend en considération un coefficient de dénivellation de 1.6, est estimée à 19 200 km.»
Un dessin de Julien Berthier représente un personnage installé au volant d’une voiture de marque «Triumph» elle-même portée par une dizaine de personnes rapidement silhouettées. Le cortège est suivi d’un personnage, d’un éléphant et d’une machine à laver. Des flèches indiquent que cette procession incongrue se dirige vers la ville natale du héros. Le titre achève de donner le ton : le retour, Porté en Triumph. Ce dessin ne peut en aucune manière être la retranscription d’un rêve prémonitoire de l’artiste car si Julien Berthier est bien né à Besançon, le Frac Franche-Comté ne dispose pas en revanche de machine à laver. Mais peu importe, l’exposition que lui consacre le Frac au Pavé dans la Mare s’intitulera de toute façon «Welcome Home».
Sylvie Zavatta
Directrice du Frac Franche-Comté