Francis Baudevin - Four Walls
avec Tatiana Arce, Nicolas Eigenheer, Jérôme Hentsch, Anne Hildbrand, Frankie Joiris
« Je préfère participer à la relance de l’abstraction moderniste […] plutôt que [de] commenter l’observation de l’épuisement des formes et des concepts. Je ne suis pas du tout résigné — au contraire, j’éprouve une réelle empathie envers le projet culturel de la modernité. »
Francis Baudevin
Dans le cadre des 30 ans des Frac, l’artiste suisse Francis Baudevin a été invité par le Frac pour assurer le commissariat de l’exposition Tacet, présentée du 22 juin au 8 septembre 2013 au musée des Beaux-Arts de Dole, puis du 27 septembre au 5 janvier 2014 aux Abattoirs, Frac Midi-Pyrénées, Toulouse.
L’exposition Four Walls présentée au Frac Franche-Comté constitue le deuxième volet de cette invitation.
L’oeuvre de Francis Baudevin s’est construite autour de la notion de réappropriation.
Ses peintures sont abstraites mais leurs motifs bien concrets. Il les emprunte au domaine du packaging (pharmaceutique, alimentaire, musical…) ou s’empare de pictogrammes industriels glanés ici et là. L’artiste peint ces « abstractions trouvées » en les agrandissant et en les épurant de tout élément textuel, une méthode claire qui lui permet, pour reprendre les termes d’Olivier Mosset, de « neutralise[r] le poids idéaliste qui est parfois porté par l’art abstrait […] Il n’y a là aucun mystère, seulement une preuve simple : un travail non illustratif qui met en lumière à la fois une situation commerciale et la notion d’art abstrait ».
Dans une monographie consacrée à l’artiste en 2009, Bob Nickas rappelle de son côté que Francis Baudevin « connaît parfaitement I’histoire du graphisme et de I’abstraction géométrique, histoires qui sont entrelacées à bien des égards.
En Suisse, le pays d’origine de Baudevin, des peintres abstraits tels que Max Bill et Richard Paul Lohse eurent à travailler dans le graphisme par nécessité, comme cela a été le cas pour Baudevin. En basant sa peinture sur le design d’emballage et la conception de logos, il reprend ou se réapproprie au fond I’histoire qui a influencé son homologue commercial », et d’ajouter pour conclure : « Un jour, les peintures de Francis Baudevin devront porter le type d’avertissements et de recommandations d’utilisation que comportent les originaux : “peut provoquer une sensation de vertige” et “jouer à volume élevé”. »
Et en effet la démarche de Francis Baudevin est basée sur une méthode rigoureuse, garante de la distanciation à laquelle il aspire, que vient pourtant contredire l’humour sous-jacent à sa démarche souligné par Bob Nickas, tout comme le rapport affectif qu’il entretient avec l’univers sonore et musical. Un univers dont il explore les vastes champs en amateur éclairé mais non moins éclectique — de la musique classique aux compositeurs du xxe siècle tels Steve Reich et Philip Glass, sans oublier le rock, le punk et la new wave… — et qui lui sert également de matériau premier.
Dans la collection du Frac Franche-Comté figure une peinture de l’artiste. Elle est intitulée Polydor. À son propos, Francis Baudevin indique : « Polydor est un pictogramme qui existe vraiment : un demi-disque vinyle sur un rectangle rouge. Il s’agit d’une des principales raisons de ce choix. Et puis c’était aussi un label peut-être un peu désuet à l’heure du disque compact — il y a encore des pictogrammes de trains à vapeur ! »
Même si elle ne saurait se réduire à l’univers musical, l’exposition regroupe nombre de peintures qui sont le fruit d’un prélèvement dans la collection personnelle de disques vinyles de l’artiste ainsi que des photographies de ses pochettes de disques.
Si dans ses peintures l’absence de texte peut induire une difficulté quant à l’identification immédiate de la référence ou de la source, en revanche dans les photographies la question ne se pose pas. Il s’agit en effet de séries de photographies de pochettes de disques que le peintre regroupe par couleur.
En résultent des déclinaisons chromatiques qui sont le fruit d’un mouvement analogue à celui qui préside à l’élaboration de ses tableaux et de ses wall paintings.
« Mon intérêt pour la musique et ma démarche picturale ont longtemps été distincts, et c’est peut-être à travers mon enseignement à l’École cantonale d’art de Lausanne que ces domaines ont commencé à se conjuguer plus étroitement.
J’ai bien souvent recours, et assez naturellement, à des exemples empruntés à la musique pour situer une démarche artistique, il y a en cela un apport pédagogique.
Auparavant, j’avais envisagé mon implication en tant qu’artiste plutôt sous l’angle de la distanciation, par la peinture abstraite, même si j’y avais été amené par des démarches musicales. Puis j’ai commencé à rendre davantage visibles ces références musicales, peut-être encouragé par les étudiants eux-mêmes, ainsi que par quelques collègues », explique l’artiste.
De ce dialogue avec d’autres artistes, de ce partage d’intérêt, Francis Baudevin a voulu témoigner en présentant au côté de ses oeuvres les productions de Tatiana Arce, Nicolas Eigenheer, Anne Hildbrand, Jérôme Hentsch et un portrait photographique de John Cage par Frankie Joiris.
Et c’est in fine au compositeur américain — qui a marqué de son empreinte indélébile la musique de notre temps et qui ne cesse d’être une référence pour les artistes contemporains — que Francis Baudevin rend hommage en donnant pour titre à son exposition celui d’une pièce du compositeur : Four Walls.
SZ